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Grève chez Ubisoft : le télétravail est-il vraiment un "acquis social"?

Photo du rédacteur: Fanny LederlinFanny Lederlin

Les salariés français de l'entreprise de développement, d'édition et de distribution de jeux vidéo Ubisoft sont en grève depuis mardi 15 octobre dernier. Outre des revendications salariales, ils reprochent à leur employeur de remettre en cause la possibilité, pour celles et ceux qui le désireraient, de télétravailler à temps plein. Les syndicats qui ont appelé à la grève ont ainsi déploré que soit remis en cause, par la direction de l'entreprise, ce qu'ils considèrent comme un "acquis social" à part entière.

On ne peut que s'étonner que la direction de l'entreprise ait choisi d'informer ses salariés de ce changement de protocole - la réduction du télétravail à trois jours maximum par semaine - par un simple mail, alors même qu'elle met l'accent sur l'importance du présentiel et des "relations interpersonnelles" qu'il permet. Pour autant, le fait que le télétravail soit présenté par les grévistes comme un "acquis social" est discutable.

En effet, le télétravail s'est généralisé en France et dans le monde à l'occasion de la crise du Covid, durant laquelle il a permis de maintenir l'activité économique malgré les mesures de distanciation prises par les gouvernements de la plupart des États du globe. Plébiscité par celles et ceux qui l'ont pratiqué, il s'est ensuite maintenu, sans que soit engagé un véritable débat public sur ses avantages et ses inconvénients.

En France, un accord interprofessionnel a été signé le 26 novembre 2022 par les organisations représentant les employeurs et les salariés (à l’exception de la CGT). Cette accord témoigne de l’intérêt, et même de l’enthousiasme de la plupart des acteurs sociaux pour cette nouvelle modalité de travail. Reflétant l'opinion des travailleurs, l'accord souligne ses bienfaits individuels tout en proposant un encadrement minimum : contrôle de la durée de travail, fréquence, horaires, droit à la déconnexion, prise en charge des frais professionnels, protection des données personnelles, règles de santé et de sécurité. Mais cet accord ne mentionne pas un certain nombre de problèmes, parmi lesquels :

  • Le fait que seuls 30% à 40% des métiers soient télétravaillables. Dès lors, s'il s'agit d'un acquis social, c'est un acquis qui ne concerne pas toute la population active. Ce qui signifie qu'il crée une nouvelle inégalité entre les travailleurs qui exercent une profession télétravaillable et les autres. Qu'offre-t-on en contrepartie aux 70% d'actifs qui n'y ont pas accès? La semaine des 4 jours? Le débat mériterait d'être ouvert.

  • Le fait que tous les télétravailleurs ne travaillent pas dans les mêmes conditions. Selon qu'ils sont jeunes ou âgés, cadres ou employés, hommes ou femmes... ils travaillent dans des lieux (en général, leur domicile) plus ou moins spacieux, plus ou moins confortables, plus ou moins calmes et dédiés à leur travail. On sait, par exemple, que les jeunes actifs vivent en général dans des petites surfaces, ou que les femmes qui télétravaillent sont plus dérangées par les tâches domestiques que les hommes. Ainsi, un effet pervers du télétravail pourrait consister à rétablir des discriminations que des années de négociations tendues vers des objectifs d’égalité avaient tenté d'effacer.

  • D'autres questions pourraient être posées quant à la nature et à l'intérêt du travail effectué à distance, et quant à sa contribution à l'épanouissement social et existentiel des travailleurs.

Tout en comprenant que des travailleurs qui ont organisé leur vie (personnelle aussi bien que professionnelle) autour du télétravail refusent la brutalité de l'annonce de la direction d'Ubisoft, il serait intéressant que les salariés et les syndicats impliqués dans ce mouvement social - et au-delà, l'ensemble des acteurs du monde du travail en France



- se saisissent enfin de ces questions pour en débattre collectivement.

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